mardi 14 mai 2013

La Turquie au bord de la guerre

Le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu et le vice-Premier ministre Bülent Arinç ont immédiatement tourné les yeux vers Damas, prévenant que "si la Syrie était impliquée, elle payerait le prix de son acte"

Il n’a fallu que quelques heures, samedi, après les deux déflagrations qui ont ravagé le centre de Reyhanli, pour que les dirigeants turcs désignent le seul responsable possible, à leurs yeux, de l’attentat le plus meurtrier que la Turquie ait connu depuis de nombreuses années. Le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu et le vice-Premier ministre Bülent Arinç ont immédiatement tourné les yeux vers Damas, prévenant que "si la Syrie était impliquée, elle payerait le prix de son acte", et que, dans ce cas, "la Turquie prendrait les mesures nécessaires".

Evasif

Dans sa première réaction publique, le Premier ministre Tayyip Erdogan restait pourtant évasif, estimant que "certains" pouvaient être "dérangés par le processus de résolution" du problème kurde dans lequel est engagé son gouvernement depuis plusieurs mois, ou par le fait que son pays accueille de nombreux réfugiés syriens sur son territoire, entre 20 000 et 25 000 rien que dans la province d’Antioche où a eu lieu la double explosion, précisait-il. Deux bonnes raisons pour que le voisin syrien puisse être soupçonné d’avoir fomenté cette attaque.

D’autant que trois mois jour pour jour auparavant, à quelques kilomètres de Reyhanli, un attentat à la voiture piégée avait déjà visé le poste frontière turco-syrien de Cilvegözü-Bab el Hawa (contrôlé côté syrien par l’Armée syrienne libre, rébellion au pouvoir de Bachar el Assad), faisant une quinzaine de morts. Les responsables turcs avaient alors désigné les services secrets syriens, même si l’enquête n’avait jamais apporté de confirmation concrète de cette piste.

Il n’en fallait pas plus cependant pour que Bülent Arinç parle samedi de la Syrie comme d’un "suspect naturel". Dans la soirée, en un temps record, le ministre de l’Intérieur, Muammer Güler, confirmait ces soupçons en annonçant une enquête"quasiment bouclée" et menant à un étrange groupe "connu pour ses liens avec les services secrets syriens".

La censure décrétée dimanche matin par la justice locale sur "toutes les informations relatives à l’enquête sur l’attentat de Reyhanli" ne permet pas pour l’instant d’en savoir plus sur l’identité des neuf personnes, toutes de nationalité turque, arrêtées par la police entre samedi et dimanche dans la province, alors que d’autres suspects seraient toujours recherchés.

Les Alevis dans le collimateur

Ils auraient, selon le vice-Premier ministre Bechir Atalay, "planifié" la double attaque à la bombe. Le chef de la diplomatie, Ahmet Davutoglu, a simplement indiqué que ce groupe serait le même qui "dénonce régulièrement la présence de réfugiés syriens" en Turquie. L’argument paraît très faible, faute d’autres preuves, pour lier ces suspects aux attentats ; il permet cependant d’émettre l’hypothèse que cela puisse être des activistes de la communauté alévie turque, donc de même obédience confessionnelle (branche hétérodoxe du chiisme) que le pouvoir alaouite de Bachar el Assad ; les Alevis turcs sont également connus pour leur opposition farouche au gouvernement turc de l’AKP (sunnite), dont ils dénoncent régulièrement le soutien ouvert à la rébellion syrienne, elle aussi sunnite.

Selon le vice-Premier ministre Bechir Atalay, les suspects auraient cherché par leur acte à "attiser le ressentiment de la population locale contre les réfugiés syriens".Des incidents entre Turcs et résidents syriens ont d’ailleurs éclaté samedi et dimanche à Reyhanli. Ils font craindre que les tensions confessionnelles qui constituent désormais les lignes de fracture de la guerre civile syrienne ne franchissent la frontière.